« Un mets de légende l'ortolan dans le Sud-Ouest de la France au XVIIIe siècle. », Du bien manger et du bien vivre à travers les âges et les terroirs. Actes du 54e congrès de la FHSO, Pessac, Ed. MSHA, 2002, pp. 211-218
Main Author: | Frédéric Duhart |
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Format: | Book publication-section |
Bahasa: | fra |
Terbitan: |
MSHA
, 2002
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Subjects: | |
Online Access: |
https://zenodo.org/record/2544142 |
Daftar Isi:
- En suivant un ortolan éclos au XVIIIe siècle, depuis sa capture dans les campagnes du sud-ouest de la France jusqu'à l’estomac d’un gourmand, nous devons vite nous rendre à l’évidence : ce petit passereau n’est pas seulement, au terme de son existence, une petite boule de chair gorgée de graisse, il est aussi un peloton d’histoire, un objet historique total dans lequel l’histoire de l’environnement, l’histoire sociale, l’histoire économique et l’anthropologie historique s’entremêlent ! Par conséquent, son étude montre que l’histoire de l’alimentation fait partie intégrante des sciences sociales, que l’anecdotique, auquel pourraient inviter la légèreté du vol du bruant ou les effluves qui s’élèvent au dessus du tendre rôt, n’y mérite aussi peu de place qu’en linguistique variationniste. Travailler sur l’ortolan au XVIIIe siècle engendre également une réflexion méthodologique : alors que l’étude de ce bruant se fonde sur des sources fort variées et souligne ainsi l’intérêt d’une histoire sensible au « foisonnement indiciaire» , le maintien jusqu'à l’arrêté du cinq mars 1999 de certaines formes de chasse à l’ortolan, permet un dialogue entre les sources anciennes et les observations précises de techniques. Bien que sa dynamique ancienne reste bien obscure, l’étude du discret Emberiza hortulana conduit au cœur de l’histoire de l’environnement, par sa rencontre avec l’homme qui se réalise dans l’acte cynégétique : les connaissances du milieu et des mœurs de l’oiseau sur lesquelles se fondent la capture témoignent de l’ancrage de l’homme prédateur au sein du géosystème local. Cette chasse est aussi parfaitement intégrée à la vie économique : l’ultime destination de la majorité des ortolans capturés est l’estomac de riches gourmands urbains. Entre le champ et la table, la métamorphose de l’ortolan claustré est liée à l’emploi du Setaria Italica qui trouve là un des usages au fondement du maintien de sa culture, alors que progresse le maïs. Considéré sous sa forme achevée de joyau culinaire, l’ortolan rappelle bien des traits du bon goût alimentaire du XVIIIe siècle : l’engouement pour les viandes délicates, riches en lipides (qui se retrouve localement dans l’attrait pour d’autres gibiers à plume, tels que les muriers ou becfigues et la caille), l’attention portée aux qualités intrinsèques des aliments et, au travers de certains apprêts (ortolans au vin de champagne), l’importance des modes alimentaires. Susceptible d’être servi sous la même forme en plat de rôt (son service de prédilection) ou parmi les entremets, ce bruant nous rappelle que derrière la façade immuable de l’ordre des services, se cache une réalité des plus complexes . Les ortolans du Sud-Ouest qui charment quelques palais parisiens, rappellent l’étendue de l’aire d’approvisionnement du marché alimentaire de qualité sur lequel le goût et le raffinement joue le rôle essentiel ; ils sont une illustration de l’extrême variété des denrées disponibles à Paris, déjà relatée par J. Lippomano au XVIe siècle et que Grimod de la Reynière évoque à son tour dans son Almanach des gourmands . Même lorsqu’il s’éloigne à tire-d’aile du siècle des Lumières pour venir jusqu'à nous, l’ortolan reste un objet d’étude fascinant pour les sciences humaines : avancé par certains comme emblème d’une certaine idée de la ruralité, élevé par d’autres au statut de symbole des combats à mener pour la protection de l’avifaune, avec des deux côtés, la référence au « petit peloton » de graisse qu’évoquait Menon, qui oscille entre la description lyrique d’une ambroisie perdue et l’évocation écœurée du produit d’une pratique barbare .